Vous dénoncez la politique de destruction de
l'école, à l'oeuvre depuis des décennies ? Nostalgie ! Vous constatez que de
très nombreux élèves savent à peine lire, ignorent l'orthographe et manquent
totalement d'esprit critique ? Nostalgie ! Vous êtes scandalisé que les
correcteurs du brevet et du bac reçoivent des consignes pour relever les notes
de copies archinulles ? Nostalgie, vous dis-je !
Nostalgie, irrationalité, conservatisme : tels
les médecins de Molière, les Diafoirus de l'Education nationale n'ont que ces
mots-là à la bouche. Loin de réfuter, preuves à l'appui, les arguments de ceux
qui constatent la mort de l'école, ils se contentent d'invectives et, retour à
l'école de grand-papa ou à la grammaire de grand-mère, taxent de passéisme ceux
qui défendent l'école de la République. C'est un peu court. Et rappelle la
myopie de ceux qui, quand le doigt montre la lune, regardent le doigt.
Trop souvent, lorsqu'on s'interroge sur le
présent ou le devenir de l'école, on raisonne comme si l'école était une
entité, une sorte d'institution en soi, qui échapperait à toutes les
contingences du moment. Alors qu'elle dépend étroitement du contexte socio-politique
dans lequel elle s'inscrit et qui en fixe les modalités et les fonctions,
qu'elle a toujours été au service d'une politique, d'une idéologie et des
exigences des maîtres du moment, que ses fins, en un mot, ont toujours été
extrascolaires : non pas la distribution au plus grand nombre du plus grand
savoir, mais la répartition inégale du savoir entre les groupes sociaux et la
place qu'ils occupent dans le processus de production.
Ces fins sont aujourd'hui très claires : au
moment où le libéralisme gagne tous les secteurs de la vie socio-économique, où
la privatisation des services, jusqu'à présent à la charge de l'Etat,
s'accélère, l'école publique change complètement de nature. N'accueillant plus
que les enfants des catégories sociales les plus «défavorisées» ou en déclin,
comme les classes moyennes, elle n'a plus pour mission de transmettre des
connaissances des enseignants ont été sanctionnés pour continuer à le faire
mais de gérer au mieux une population dont il ne s'agit plus d'élever le niveau.
Si «l'ascenseur social» est en panne, comme on le
répète, c'est pour la raison très simple que les classes dirigeantes n'ont plus
besoin, comme à l'époque de Jules Ferry et de l'essor industriel, du savoir et
du savoir-faire de la majorité des citoyens : que ceux d'en bas restent donc au
sous-sol ou dans les caves de la société.
Et qu'ils y restent tranquilles. Mieux : qu'ils
s'«épanouissent» dans cette école devenue un «lieu de vie», où l'on ne s'ennuie
plus à apprendre la grammaire, à faire des dictées, des rédactions et des
dissertations, à lire des textes auxquels on ne comprend rien...
Au diable le bourrage de crâne, que les verbes et
les sujets s'accordent comme bon leur semble et qu'en attendant de trouver une
place d'apprenti, dès 14 ans, les «apprenants» s'amusent à faire des crêpes
(école élémentaire), s'initient aux jeux de la Bourse («les Masters de
l'économie», installés sur Internet dans
les établissements par le CIC), rédigent un journal sportif, mettent en scène
un JT ou, en seconde, racontent à la façon d'un journaliste people la
rencontre de la princesse de Clèves et du comte de Nemours...
Facéties de maîtres «super-modernistes» ?
Nullement : mise en pratique des directives de l'OCDE, que la France a
contresignées : à l'avenir, estime l'un des rapports de cet organisme, «les pouvoirs publics n'auront plus qu'à assurer
l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché
rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que
d'autres vont contribuer à progresser».
Et un fonctionnaire de l'OCDE, Christian
Morrisson, de suggérer aux gouvernements européens une réduction drastique des
crédits de fonctionnement de l'école publique, ainsi que l'instauration de
partenariats avec des entreprises qui, en échange d'investissements financiers,
ont déjà pris pied, très largement, dans l'école. Coca-Cola, la firme Morgan
dont il était possible, du temps de Jack Lang, de commander un tee-shirt par un
simple clic sur le site du ministère , la SNCF, participent déjà largement au
financement et à la mise en place des nouvelles finalités de l'école, chargée
non plus de former des élèves, mais d'éveiller en chaque élève un consommateur.
Comme le prescrit un membre de l'Institut de l'entreprise, Jean-Pierre
Boisivon, on ne doit pas dire «l'élève est au centre du système éducatif», mais «le client est au centre du marché».
Ce que Claude Allègre avait fort bien compris
et encouragé en déclarant qu'au lycée il fallait apprendre à «rédiger un CV ou une lettre de motivation». Ce
que préconisait également l'ex-grand-prêtre du ministère de l'Ignorance
nationale, Philippe Meirieu, pour qui les enfants des milieux défavorisés
devaient «apprendre à lire dans les modes d'emploi
d'appareils électroménagers et non dans les textes littéraires»
réservés, cela va sans dire, à l'«élite».
Une école publique désertée par ceux qui demain
dirigeront le pays, une école réservée, comme les bantoustans l'étaient aux
Noirs d'Afrique du Sud, aux enfants des familles, de plus en plus nombreuses,
que la société libérale rejette dans ses marges, une école qui les «occupe» en
attendant qu'ils s'inscrivent à l'ANPE, telle est la réalité que camouflent les
tirades «modernistes» des Tartuffes pédagogistes qui, en prétendant mettre
l'élève au centre du système éducatif, y ont installé les marchands.
Des enseignants l'ont compris qui, dans leurs
livres, leurs manifestes, leurs communiqués, dénoncent l'escroquerie des Pol
Pot de la rue de Grenelle. «Sauver les lettres», «Sauver les maths», sont à
l'avant-garde de ce combat. Mais, si la majorité fait la sourde oreille ou se
contente d'ergoter sur des questions de méthode, d'horaire et de moyens,
l'école de la République ne sera bientôt plus qu'un souvenir, et la République
une dépouille.
MASCHINO
Maurice T. _livres
Parents contre profs de Maurice T. Maschino (27 août 2002)
L'Algérie retrouvée de Maurice T. Maschino (10 mars 2004)
Etes-vous un vrai Français ? Broché – 5 octobre 1988
Maurice T. Maschino ancien professeur de philosophie, journaliste et
écrivain. Auteur de Parents contre profs, Fayard, 2002.
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